Fait et fiction. Pour une frontière by Françoise Lavocat

Fait et fiction. Pour une frontière by Françoise Lavocat

Auteur:Françoise Lavocat
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Seuil
Publié: 2016-07-14T16:00:00+00:00


2. Mondes ludiques de synthèse

Les simulations à usage sérieux de la VR ne font pas monde. En revanche, il n’est qu’à songer aux noms des jeux en ligne les plus célèbres, World of Warcraft, Entropia Universe, Second Life, pour constater qu’ils se donnent comme des mondes, des planètes (Blue Mars), des galaxies, des chapelets d’îles sans fin.

S’il est vain de tenter de les répertorier et de les décrire (de nombreux guides, cartes, répertoires et encyclopédies s’y emploient), au moins peut-on les classer en plusieurs catégories21, qui recoupent les grandes distinctions de Roger Caillois entre les différentes sortes de jeux : faire-semblant (mimicry), combat et compétition (agôn), stratégie et hasard (alea), vertige (ilinx)22. Nous montrerons que ces distinctions (en particulier, les deux premières), s’appliquant aux mondes en ligne, correspondent à différents degrés de fictionnalité.

Même si les divertissements combinent en général ces catégories, les distinguer permet de différencier les mondes virtuels sociaux, où domine le faire-semblant (du type Second Life) et où les autres composantes ludiques sont absentes, ou secondaires, et ceux où, au contraire, l’agôn se combine au faire-semblant (du type World of Warcraft)23. En prenant en compte une autre distinction de Caillois, entre paideia (tourné vers l’apprentissage, libre et peu régulé) et ludus (reposant sur des règles), il est clair que les métavers24 (ou mondes virtuels sociaux) appartiennent à la première catégorie, les jeux vidéo à la seconde.

Mais il n’est pas certain que l’on pourra se contenter, ici, de raisonner en termes de degré de fictionnalité. Même si beaucoup de discours sur l’altérité radicale de la cyberculture doivent être relativisés, il ne faut pas minimiser le fait que celle-ci remette en cause les conceptions et les usages, même récents, de la fiction, encore majoritairement inspirés par la lecture, le cinéma et les spectacles vivants. Les rapprochements qu’on a pu faire entre ces pratiques différentes (un jeu en ligne serait comme une pièce de théâtre dont les spectateurs seraient montés sur la scène ; un jeu en ligne ne différerait d’un roman que de façon superficielle25) ne rendent pas justice à la particularité irréductible des jeux vidéo. En effet, s’il s’agit bien de fiction, les notions de jeu, d’identification, de participation n’y ont tout simplement pas le même sens que lorsqu’il s’agit d’un livre, d’un film ou d’une pièce de théâtre26.

Nous montrerons que les mondes synthétiques et les jeux en ligne (métavers et jeux vidéo) sont constitutivement hybrides. Certains diront que c’est le cas de toute littérature (Shields 2010). Mais les métavers et les jeux en ligne font se chevaucher leur monde avec la réalité (souvent appelée, dans ce contexte, IRL, In real life, ce qui indique assez qu’une forme de dichotomie, rebaptisée, perdure) de façon particulière : en combinant l’association de représentations référentielles et de représentations non référentielles avec l’interactivité. Ce sont cet assemblage et ses variations qui sont inédits.



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